13 Août
Le Gard ou le Vaucluse ? J'hésite alors que je suis sur le vélo longeant le Rhône en remontant vers le nord sur la rue Frédéric Mistral dans le Gard, mais le Vaucluse m'attire, il suffit que je passe le Pont Edouard Daladier pour glisser sur les petites routes qui mènent au Lubéron.
Je préfère continuer vers le nord puis l'ouest pour rejoindre Saint Laurent des Arbres, Tavel, Lirac, pousser une pointe sur Valliguières. Le paysage est vallonné, de petits côteaux, exposés plein sud couvert de vignes, le terrain semble crayeux voire sablonneux par endroits. Traces d'une ancienne mer ?
Routes plus en faux-plats qu'en véritables bosses, le mistral du nord me ralentis fortement. J'explore un territoire inconnu de moi. L'agréable sensation de rouler pour la première fois sur ces routes désertes me donne des ailes. A Tavel, 1er rosé de France, c'est le début de la route des vins.
Peu après le village de vignerons, je croise un cycliste vêtu de rouge, qui tourne les jambes lentement, comme s'il faisait de "la force", je constate qu'il est d'un âge avancé, la peau burinée et tannée comme un vieux cuir, il est coiffé d'un étrange turban noir. Il est décharné et malgré sa faible cadence de pédalage il fonce sur son un braquet énorme, pas du tout gêné par le vent. Intrigué, je décide de le suivre. Je fais demi-tour et le garde en ligne de mire à cinq-cent mètres.
Il progresse, insensible au dénivelé, régulièrement sans à-coups, sans se déhancher, comme un avion silencieux. Le gars laisse derrière lui une odeur de vin.
A un moment dans une côte un peu plus pentue, il éructe violemment, pousse un râle prolongé et s'arrête. Il descend de sa machine. Il ne semble pas faire de malaise, reste droit, se retourne dans ma direction. Je m'arrête à dix mètres de lui. Il me regarde d'un air menaçant. Je risque un "bonjour". Il crie dans une langue inconnue. Il m'engueule comme si j'étais une menace pour lui en faisant de grands geste avec ses bras.
Je tente de le calmer par des mots de appropriés, je ne sais plus ce que je lui ai dit, mais sa fureur redouble. Je remonte sur le vélo et reprend ma route.
J'entend le gars qui continue à m'invectiver. Je me dis qu'il doit avoir un grain.
Au bout d'un kilomètre, je repars en arrière trop curieux de retrouver cet étrange animal. Mais plus de traces. Il a disparut, et je ne sais pas où car il n'y a pas d'autres routes perpendiculaires sur une dizaine de kilomètres et il est vain de vouloir rouler dans la terre avec un vélo de route. Je regarde dans les fossés, imaginant le retrouver en train de faire la sieste, mais personne.
Quelques jours plus tard, faisant des recherches sur le web, je tombe sur la biographie d'un coureur algérien des années cinquante, Abdel-Kader Zaaf, qui fit plusieurs fois le Tour de France. Il fût célèbre à cause de sa prétendue ivrognerie. Un jour de grande chaleur, lors d'une étape, un vigneron lui passa une gourde. Le pauvre se renversa le contenu sur la tête et sur la nuque en s'aperçevant trop tard que c'était du vin.
Sa réputation était faite.
La photo que je regarde est en tout points ressemblante avec le gars que j'ai croisé sur la route. Hors il est décédé dans les années quatre-vingt !
J'ai vraiment croisé le fantôme d'Abdel-Kader Zaaf sur la route des vins de Tavel !
16 Août
Je rencontre "les amis cyclistes d'Avignon" un dimanche matin à 7h30 sur le lieu de départ de leur entrainement, boulevard de Sixte. Ils sont huit, et rapidement je lie connaissance avec des gars qui ont approximativement mon âge. Des quinquagénaires en bonne forme physique, à l'accent chantant du sud ce qui donne une tonalité particulière aux conversations, j'ai cette impression d'être dans un film de Marcel Pagnol. La route est étroite et sinueuse. Nous roulons dans une sorte de bocage à l'abris du Mistral. Pour donner encore dans la couleur locale, la végétation de la plaine fait bientôt place à l'herbe jaunie et sèche, d'une garrigue où perce de la rocaille. Le mont Ventoux se rapproche mais nous ne l'escaladerons pas.
Michel, me raconte ses mésaventures de coureurs de 1ère catégorie dans les années quatre-vingt, lors du circuit des Mines en Lorraine, lorsqu'en plein avril sous la neige, il décida d'abandonner transis de froid.
Nous grimpons le col de Murs, dix kilomètres à 4%. Ce n'est pas le plus dur que j'ai grimpé cette année, mais il invite à la relance sur de grands développements et le mistral pousse à le monter vite. Je profite de ma fraicheur physique pour me détacher du groupe, qui à déjà roulé la veille, mais je n'ai pas l'aisance suffisante pour accompagner les trois meilleurs qui sont déjà loin devant.
Ensuite le col de la Ligne ; il porte ce nom suite à la grande peste du 18e siècle qui avait contaminé Marseille, un murs de pierre sanitaire (ou ligne) fût érigé pour empêcher la propagation de la maladie, un des passages solidement gardé était ce col. Nous y passons aujourd'hui en constatant quelques grosses pierres qui jonchent le sol. Dans la descente, nous admirons la superbe vue sur le Ventoux, mais une suite de virages en épingles à cheveux oblige à garder les yeux fixés sur la route, car des gravillons rendent l'adhérence des pneus aléatoires.
Je pense à La Planche des Belles Filles dans les Vosges, que j'ai escaladé au mois de juillet dernier, la douleur musculaire que j'ai ressenti pour parvenir au bout de ce mur à 13% qui clôture l'ascension, la force mentale que j'ai dû employer pour arriver au bout, car c'était le quatrième col de la journée. Mon corps s'en souviens et cette "trace" me sert maintenant de balise pour me guider lorsque je suis dans des pentes qui paraissent insurmontables. C'est le souvenir de cette force là qui me donne des repères lorsque j'ai monté le Ventoux sereinement, sans me mettre dans le rouge. Garder en soi les seuils de douleurs pour les réutiliser dans son effort, c'est bien le propre de l'entraînement.
Rouler à plusieurs permet également de se transcender. Même si les compagnons de routes sont souvent meilleurs grimpeurs que moi, ils invitent à se dépasser, ou quand ils sont très expérimentés, à ne pas les suivre pour ne pas y perdre d'énergie. A la fin, tous le monde se retrouve au sommet pour souffler, et refaire l'ascension, chacun de son point de vue, comme un partage d'expérience bienvenu pour exorciser les difficultés ressenties.
Le vélo comme expérience solitaire et partagé en groupe, une équipe ou un club, devient presque plus léger à vivre au vu des difficultés de la météo ou du relief du parcours. Le temps s'écoule différemment lorsque l'on échanges assis sur la selle. On se perd dans la conversation, les kilomètres défilent plus vite, et l'on est tout surpris de se retrouver à l'endroit que l'on croyait plus éloigné. Les bavards dit-on sont souvent issus du sud de la France. Les amis cyclistes d'Avignon sont de ceux là.
Les quatre heures vingt de roulages en leur compagnie m'à semblé être deux fois moindre ce dimanche là !