L'air est pur au sommet, mais les mouches volent toujours en nuées autour de moi passé la cote huit cent... Il fait moins chaud que dans la plaine, j'escalade le col de Servance, tantôt à l'ombre des arbres, tantôt en plein soleil; Mes jambes sont dures. Sensations pénibles. Le goudron a fondu par endroits. Sous l'effet de la chaleur, des mirages surgissent en tremblotant, comme des flaques d'eau, aussitôt transformées en étangs, lacs… je pourrais même apercevoir par instants des petits êtres sur pattes surgir et gambader sur les bas-côtés...
Il me reste plus beaucoup d'énergie pour finir l'ascension. Je sent que je suis pas loin du bout, de la fin, de mon parcours, mais aussi de mes capacités du jour à rouler sur ces routes vosgiennes pleines de surprises. Des picotements dans les cuisses m'indiquent que je viens de passer un seuil de fatigue. La sueur qui ne parviens plus à sécher sur mon front glisse en gouttes multiples dans ma bouche, un goût salé, comme un goût de mauvais bouillon. Je commence à sombrer dans une sorte de torpeur. Il ne faut pas que j'oublie de boire, il ne faut pas…
Encore des mouches agaçantes qui viennent me taquiner attirées par toutes cette sueur. Elles tentent de rentrer dans ma bouches semi-ouverte, à la recherche d'oxygène.
J'essaie de d'oublier mes douleurs en me concentrant sur des pensées plus légères. Un souvenir d'apéro en été dans une chaise longue, le visage radieux de ma femme, tous les deux sirotant un rosé de provence. Le calme et le silence en regardant le soleil couchant.
Mais bien vite je suis rattrapé par mon problème du moment : réussit à tourner les jambes en cadence régulière pour ne pas perdre trop de vitesse dans cette montée qui n'en finit pas. Garder le buste bien droit, les mains posées au sommet du cintre. Bien respirer. Ne pas trop se dandiner, et bouger des épaules. Chaque tour de pédale, tirer d'un côté et pousser de l'autre, faire un beau cercle imaginaire, pour pédaler "rond", donner l'impression au cerveau que la maitrise est parfaite, que le corps répond aux moindres sollicitations. Mais qui se joue de qui ? les jambes du cerveau ? Le cerveau des jambes ?
Le soleil va bientôt décliner. Il est 17h. Je suis sur la route depuis 7h du matin. Il faisait 12 degré à cette heure. Maintenant, on est aux alentours de 30°. Je suis passé par le col du Page, le col des Croix, des Chevrères, la Planche des Belles Filles et voilà, je suis dans le ballon de Servance.
Je pense que je vais m'arrêter un instant au sommet pour souffler et chercher dans les poches arrières de mon maillot des restes de barres énergétiques. Je pense aussi à la descente qui va se faire calmement, les doigts sur les manettes de freins, sans prendre de risques, l'air qui va glisser sur mon visage et me rafraîchir la couenne. Je pense à mon arrivé à l'auberge, poser le vélo, marcher vers le premier robinet d'eau. Je pense à la douche froide sous laquelle je vais me glisser. Je pense à la bière blonde alsacienne à la fraîcheur réconfortante que je vais déguster. Je pense au canapé qui ça m'accueillir, surélever mes jambes allongées pour faciliter la récupération. Je pense à la petite sieste que je vais faire durant une demi-heure, m'enfoncer dans un sommeil réparateur pas trop long avant le repas du soir...
Mais je suis déjà arrivé.
Je dors déjà.
Le réveil sonne, je me lève d'un bond et j'enfile mon cuissard, maillot et me prépare à sortir, il est 7 heure du matin, la température est à 12° degré; un léger voile de brume couvre les champs. 'J'enfourche ma monture, et m'enfonce dans le brouillard sur une petite route gravillonnée qui serpente en montant vers le ballon d'Alsace ou le col des Croix, j'ai oublié…
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